Note concernant l’arrêt du 4 octobre 2022 de la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH – aff. Mortier c. État belge

Cette note n’a pas pour ambi­tion d’analyser l’arrêt en profon­deur. Soulignons cepen­dant que la Cour valide la loi belge rela­tive à l’euthanasie en ses prin­cipes ainsi que le cas d’espèce, à savoir l’euthanasie de la mère du requé­rant (pas de viola­tion de l’article 2 de la Convention euro­péenne des droits de l’Homme) et ne suit pas le requé­rant qui soute­nait que l’Etat belge avait enfreint l’article 8 de la Convention en permet­tant que l’euthanasie soit prati­quée « à son insu ». En revanche, l’État belge est condamné pour une procé­dure trop longue (pas contesté) et pour l’apparence d’absence d’indépendance de la Commission.

Contexte de cette affaire

Le 19 avril 2012, le prof. Wim Distelmans (l’arrêt ne mentionne que les initiales des personnes impli­quées à l’exception du requé­rant, Tom Mortier) pratique l’euthanasie de la mère de Tom Mortier.

Sans entrer dans les détails, il est impor­tant de souli­gner qu’il s’agit d’un cas d’euthanasie pour raison psychia­trique. Il n’est nulle­ment contesté que Mme G. D. Tr, mère du requé­rant, souf­frait de dépres­sion depuis des décen­nies, dépres­sion chro­nique réfrac­taire à tout trai­te­ment. Par ailleurs, Tom Mortier avait coupé toute rela­tion avec sa mère qui ne voyait même plus ses petits-enfants. Elle avait néan­moins envoyé un cour­riel le 30 janvier 2012 à Tom Mortier et à sa sœur. Cette dernière répondit qu’elle respec­tait la volonté de sa mère. Tom Mortier n’a pas jugé utile de reprendre contact avec sa mère. A plusieurs reprises, les méde­cins deman­dèrent l’accord de Mme G.D.Tr. pour les auto­riser à avoir un entre­tien avec son fils. Elle refusa jusqu’au bout. Il n’appartenait pas aux méde­cins de passer outre à son refus.

Le lende­main de l’euthanasie, Tom Mortier a été offi­ciel­le­ment informé du décès de sa mère par l’hôpital. A partir de ce moment, Tom Mortier a entamé une « croi­sade » contre la loi rela­tive à l’euthanasie et contre Wim Distelmans. Et il s’est rapproché d’associations qui s’opposent à l’euthanasie et plus parti­cu­liè­re­ment de ADF International dont le siège est établi à Vienne. Sur le site de cette asso­cia­tion, se retrouve son objectif : “ADF International is a faith-based legal advo­cacy orga­ni­za­tion that protects funda­mental free­doms and promotes the inherent dignity of all people”. À ce sujet, voir « Les croisés de la contre-révolution” , François Finck, https://www.laicite.be/publication/croises-de-contre-revolution/ . Il n’est guère éton­nant de retrouver aux côtés du requé­rant, soutenu par ADF International les parties tierces inter­ve­nantes suivantes : Le Centre euro­péen pour le droit et la Justice (siège établi à Strasbourg, direc­teur Gregor Puppinck), Care not killing (Royaume Uni) et Ordo Iuris (Pologne).

À noter la tierce inter­ven­tion de l’ADMD Belgique et de Dignitas (Suisse).

Enjeu de ce procès

C’était non seule­ment la loi belge de dépé­na­li­sa­tion de l’euthanasie qui était mise en danger mais aussi les lois présentes des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg et Espagne et les lois à venir. Il est d’ailleurs surpre­nant que les Pays-Bas ne se soient pas inter­venus aux côtés de la Belgique.

Grandes lignes de l’arrêt de la CEDH

La CEDH a arrêté les éléments suivants à analyser :

  1. l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre légis­latif relatif aux actes préa­lables à l’euthanasie conforme aux exigences de l’article 2 de la Convention ;
  2. le respect du cadre légis­latif établi dans le cas d’espèce ;
  3. l’existence d’un contrôle a poste­riori offrant toutes les garan­ties requises par l’article 2 de la Convention.

La CEDH a tout d’abord rappelé le prin­cipe de la marge d’appréciation laissée aux Etats parties à la Convention : « dans ce domaine qui touche à la fin de la vie et à la façon de ménager un équi­libre entre la protec­tion du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son auto­nomie person­nelle, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États (voir, mutatis mutandis, s’agissant de la possi­bi­lité de permettre ou non l’arrêt d’un trai­te­ment main­te­nant arti­fi­ciel­le­ment la vie et à ses moda­lités de mise en œuvre, Lambert et autres, précité, § 148). Cette marge d’appréciation n’est toute­fois pas illi­mitée, la Cour se réser­vant de contrôler le respect par l’État de ses obli­ga­tions décou­lant de l’article 2 (ibidem) » n°143 de l’arrêt.

Pour les deux premiers points, la CEDH conclut qu’il n’y pas viola­tion de l’article 2 de la Convention :

Sur le cadre légis­latif concer­nant les actes préa­lables à l’euthanasie

  1. Au vu de tout ce qui précède et de la marge d’appréciation dont béné­ficie l’État (para­graphe 143 ci-dessus), la Cour consi­dère qu’en ce qui concerne les actes et la procé­dure préa­lables à l’euthanasie, les dispo­si­tions de la loi rela­tive à l’euthanasie consti­tuent en prin­cipe un cadre légis­latif propre à assurer la protec­tion du droit à la vie des patients tel qu’exigé par l’article 2 de la Convention.
  2. Partant, il n’y a pas eu viola­tion de l’article 2 de ce chef.

Sur le respect du cadre légal dans le cas d’espèce 165.

  1. Par consé­quent, la Cour estime qu’il ne ressort pas des éléments dont elle dispose que l’acte d’euthanasie de la mère du requé­rant pratiqué confor­mé­ment au cadre légal établi ait été effectué en mécon­nais­sance des exigences de l’article 2 de la Convention. Il n’y a donc pas eu viola­tion de cette dispo­si­tion à ce titre.

Quant au contrôle a poste­riori, la CEDH relève un problème d’apparence de non indé­pen­dance de la Commission fédé­rale de contrôle et d’évaluation de la loi rela­tive à l’euthanasie et conclut :

  1. Par consé­quent, et tenant compte du rôle crucial joué par la Commission dans le contrôle a poste­riori de l’euthanasie, la Cour estime que le système de contrôle établi en l’espèce n’assurait pas son indé­pen­dance, et cela indé­pen­dam­ment de l’influence réelle qu’a éven­tuel­le­ment eue le profes­seur D. sur la déci­sion prise par la Commission en l’espèce.

À souli­gner que La Cour ne conteste ni le prin­cipe du contrôle a poste­riori, ni la compo­si­tion de la Commission mais bien l’absence ce certi­tude de son indépendance.

La Belgique est égale­ment condamnée pour la longueur de la procé­dure. Ceci est un fait qui n’était par ailleurs pas contesté.

Communication biaisée de cet arrêt

Le commu­niqué de presse de la CEDH a été catas­tro­phique. Le titre : « La Cour constate des défaillances procé­du­rales dans le contrôle a poste­riori de l’euthanasie de la mère du requé­rant ». De ce titre, l’on retient que la CEDH condamne la Belgique pour viola­tion de l’article 2 de la Convention. Et les agences de presse, dont Belga, ont bien entendu relayé cette infor­ma­tion sans que les jour­na­listes ne se donnent la peine de lire l’arrêt.

Il s’agira de corriger cette commu­ni­ca­tion par diverses interventions.

Suites de la procédure

Les parties peuvent demander le renvoi devant la Grande Chambre. L’Etat belge ne prendra pas d’initiative à ce sujet, compte tenu de ce que cet arrêt est large­ment favo­rable. Il n’est pas à exclure cepen­dant que le requé­rant le fasse…

L’arrêt deviendra défi­nitif dans 3 mois sauf renvoi devant la Grande Chambre ou en cas de rejet d’une demande de renvoi. Commencera alors la phase d’exécution. Et il faudra donc proposer et mettre en appli­ca­tion des mesures qui permet­traient d’asseoir l’indépendance de la Commission.

Quelle solution pour la Commission ?

La solu­tion qui paraît la plus évidente est de faire sauter la condi­tion de l’anonymat et de mettre fin à l’obligation de sceller le volet I. Il n’y a plus de raison de main­tenir cet anonymat certes demandé par certains méde­cins à l’époque des débats parle­men­taires pour éviter d’être pointé du doigt comme étant « le médecin qui pratique des euthanasies ».

La Commission restera tenue au respect du secret profes­sionnel. Pas ques­tion par exemple de divul­guer ni les noms des patients, ni les noms des méde­cins. Il s’agira égale­ment de respecter le RGPD. Notons que déjà actuel­le­ment sont trai­tées des données person­nelles pour les dossiers pour lesquels le volet I est ouvert.

Cette modi­fi­ca­tion légis­la­tive permettra au demeu­rant de résoudre le problème de la digi­ta­li­sa­tion et du formu­laire élec­tro­nique lié au fait que, selon la loi, la Commission ne peut prendre la déci­sion d’ouvrir le volet I au cas par cas.

La Commission a pris posi­tion : la seule solu­tion possible est la levée de l’anonymat. Mais ceci relève du légis­la­teur et non de la Commission. En annexe, le commu­niqué de presse de la Commission.

Jacqueline Herremans, le 15 octobre 2022