Une belle page d’humanité que nous avons traduit du néerlandais à partir d’un article de BUZZ que nous recommandons de lire dans sa version originale pour celles et ceux qui comprennent la langue de Vondel, via le lien ci-dessous

Euthanasie-expert Wim Distelmans: ‘Niemand gaat dood voor zijn plezier

Wim Distelmans, coprésident de la Commission Fédérale de l’Euthanasie et pionnier dans le soin des mourants en Belgique © Saskia Vanderstichele

Wim Distelmans, expert en euthanasie: «Personne ne meurt pour le plaisir»

 

La loi sur l’euthanasie existe depuis plus de quinze ans. Selon Wim Distelmans, il est temps que les médecins enregistrent également les décès sans euthanasie. « Toute notre législation est basée sur le commandement « Tu ne tueras point ». Mais si nous traduisons littéralement le texte de l’hébreu, il dit: « Tu n’assassineras point ».

 

C’est une année importante pour Wim Distelmans, co-président de la Commission Fédérale de l’Euthanasie et pionnier dans les soins apportés aux mourants en Belgique. Depuis février, l’UZ Brussel est le premier hôpital au monde à enregistrer tous les cas de sédation palliative.

Cela concerne les médecins qui pratiquent une sédation sur un patient en phase terminale afin que celui-ci ne ressente pas consciemment sa souffrance.

Un petit retour dans le temps. Il y a plus de trente ans, l’intérêt de Distelmans pour les soins palliatifs s’est éveillé dans l’exercice de son travail en tant qu’oncologue. La moitié de ses patients sont morts, et il a réalisé qu’hormis les soins infirmiers réguliers, rien n’était fait pour eux. Ainsi est né le premier modèle de soins palliatifs sur le campus de la VUB à Jette, avec dix infirmières qui accompagnaient les patients incurables à domicile. Plus tard, le centre de soins palliatifs Topaz et les équipes de soins palliatifs ont rejoint l’hôpital. « Les soins palliatifs sont nés à Bruxelles et nous devons y être attentifs », explique M. Distelmans. Il renforce ses mots en mettant la main sur les pages ouvertes du magazine Peiler, qui, quatre fois par an, interroge un citoyen bruxellois à propos de l’accompagnement des mourants.

 

« Notre offre de soins est l’une des meilleurs au monde et est un modèle pour des soins palliatifs de qualité. » Selon Distelmans, la loi sur l’euthanasie qui a été approuvée il y a plus de quinze ans a été une suite logique.

 

La prochaine étape semble être une meilleure réglementation de la sédation palliative, une méthode pour soulager la souffrance des patients en fin de vie.

Wim Distelmans: La sédation palliative est utilisée abusivement comme un concept fourre-tout. Il est utilisé pour tout et n’importe quoi. En fait, la «sédation palliative» consiste à garder quelqu’un endormi jusqu’à ce qu’il meure spontanément des suites de sa maladie. En pratique, les médecins démarrent la sédation, les doses augmentent rapidement, de sorte qu’il y a effectivement interruption de vie. Il y a beaucoup de frustration à ce sujet au sein de la population. Les gens regrettent qu’un médecin ait endormi un patient à leur insu, sans qu’ils aient pu lui dire au revoir. Je ne suis pas opposé à la sédation palliative, mais contre son utilisation abusive. Les médecins n’ont pas à demander la permission du patient pour une sédation. De plus, cet acte est souvent imposé comme une alternative à l’euthanasie. Il n’y a pas de contrôle, et ils ne doivent pas l’enregistrer auprès de la Commission d’euthanasie. Les médecins ont toujours l’idée qu’ils sont Dieu le Père et celui qui décide. Nous devons nous débarrasser de ces idées.

 

Les médecins doivent-ils dès lors enregistrer tous les cas de sédation?

Distelmans: Oui, aussi pour avoir plus de clarté. Si les médecins doivent déclarer la sédation, ils en surveilleront d’autant mieux les conditions. C’était également le cas de la loi sur l’euthanasie, qui a permis une application de la technique plus minutieuse. Soixante-dix pour cent des patients ignorent qu’ils sont sédatés. A partir de février, les médecins de l’UZ Brussel doivent déclaré dans un formulaire spécifique pourquoi ils n’ont pas discuté de la sédation avec le patient et la famille. Le médecin doit également informer les proches afin qu’ils puissent dire au revoir. Nous avons affiné ce formulaire de déclaration au cours du projet pilote l’année dernière. Les résultats de cette étude seront bientôt publiés dans un journal médical.

 

« Les médecins ont toujours l’idée qu’ils sont Dieu le Père et celui qui décide. Nous devons nous débarrasser de ces idées. » – Wim Distelmans

 

Que nous disent ces résultats?

Distelmans: Que certains médecins ne savent pas vraiment ce qu’ils font, pour le dire très grossièrement. Qu’ils ne réalisent pas qu’ils réduisent le patient au silence en l’endormant.

 

En quoi la sédation palliative et l’euthanasie diffèrent-elles l’unes de l’autre?

Distelmans: L’euthanasie se produit toujours à la demande du patient. Sans la demande du patient, vous ne pouvez pas le faire. La deuxième différence majeure est que l’euthanasie a pour but de mettre fin à la vie, alors que le but de la sédation est d’empêcher une personne de rester consciente de sa souffrance insupportable.

 

Il y a moins d’euthanasie en Wallonie qu’en Flandre.

Distelmans: Nous en ignorons la raison, mais nous avons l’impression que deux fois plus de sédations sont pratiquées en Wallonie qu’en Flandre. Les sociologues expliquent cette différence sur la base de la culture médicale. Les néerlandophones sont sous l’influence du calvinisme des Hollandais et ont plus de respect pour ce que les patients veulent. Les médecins francophones sont plus influencés par la culture latine et sont plus paternalistes.

Quand je discute avec des collègues francophones, mes cheveux se dressent parfois sur la tête. Ce qu’ils considèrent comme une sédation, je le considère comme une fin de vie. C’est aussi une des raisons de faire plus de recherches.

 

« Nous traitons les fichiers anonymement, et nous votons également anonymement. Expliquez-moi comment je pourrais influencer un dossier? » – Wim Distelmans

 

Certains soutiennent que la loi sur l’euthanasie doit d’abord être évaluée avant de pouvoir parler de la réglementation sur la sédation palliative. Aux Pays-Bas, la loi a déjà été évaluée plusieurs fois, pas encore ici.

Distelmans: La grande différence est que les Pays-Bas payent un groupe de recherche tous les cinq ans pour évaluer la loi sur l’euthanasie. Dans notre pays, la VUB mène également chaque année des recherches sur la pratique de l’euthanasie en Belgique. Le comité soumet un rapport au Parlement tous les deux ans. La loi a quinze ans, nous avons soumis sept rapports. Nous n’avons été invités au Parlement qu’à trois reprises pour présenter le rapport. Un petit groupe d’opposants obstinés pousse la population à faire évaluer cette loi. Je dis: que cette loi soit évaluée! Je n’ai aucun problème avec ça.

 

Y a-t-il suffisamment de «checks and balances» dans le système actuel pour défendre la loi sur l’euthanasie?

Distelmans: Je le crois. Cela n’exclut pas la possibilité que quelque chose ne puisse pas être amélioré de temps en temps, mais c’est valable pour toutes les lois.

 

Mais avec cette loi, c’est la mort qui en résulte.

Distelmans: À la demande du patient. On l’oublie toujours. C’est à la demande répétée, volontaire et réfléchie du patient. J’ai connu des gens qui ont sauté du toit parce que la procédure d’euthanasie prenait trop de temps. Ils ont dit ne plus pouvoir y faire face et se sont privés ainsi de la vie d’une manière terrible.

 

Certaines personnes ont du mal à accepter que vous soyez à la fois coprésident de la Commission et porte-parole de la loi sur l’euthanasie.

Distelmans: Un projet de loi a été voté au Parlement qui stipulait clairement que la Commission devaient être composés pour cinquante pour cent de ses membres, de médecins en activité. Je suis un médecin en activité. La Commission doit être composée de façon pluraliste, avec des personnes ayant des antécédents idéologiques différents. Nous sommes seize membres et dès le départ, j’ai été élu coprésident à l’unanimité. Nous traitons les fichiers anonymement, et nous votons également anonymement. Expliquez-moi comment je pourrais influencer un dossier? Je trouve ce raisonnement vraiment exagéré. Il vient toujours du même cpoté et est principalement répercuté dans la presse étrangère. Ces fanatiques m’ont envoyé une photo du Daily Mail lors d’un colloque sur la dignité et la souffrance existentielle à Auschwitz avec Lydia Chagoll – une de mes amies qui y est guide depuis des années. Le journal l’a mis en première page: «Docteur Mort va à Auschwitz pour en savoir plus.» Le niveau … (soupir).

 

Vous n’êtes pas touché quand vous êtes attaqué?

Distelmans: Ce n’est pas agréable, mais je ne me sentirais mal que si je pensais être éthiquement coupable.

 

Pour les demandes d’euthanasie pour souffrances psychologiques, une période d’un mois est observée. N’est-ce pas trop court?

Distelmans: Le Parlement peut bien sûr décider d’étendre cette période. Aux Pays-Bas, il n’y a d’ailleurs pas de délai et il n’est pas obligatoire de faire appel à un psychiatre. Personnellement, je pense que cela devrait être le cas. Dans la pratique, le temps moyen de suivi d’un patient psychiatrique en Belgique est de neuf mois. Quel médecin va après un mois dire à un malade psychiatrique: maintenant on prend la décision de l’euthanasie? Il s’écoule souvent beaucoup de temps avant que des conseils puissent être formulés. Je n’ai aucun problème à prolonger la durée, mais de combien? Six mois, un an, dix-huit mois? Apparemment, il y a peu de confiance dans la compétence professionnelle des médecins.

 

Chez certains patients psychiatriques, une envie de mourir fait partie de leur pathologie. La question de l’euthanasie n’est-elle alors pas difficile à évaluer?

Distelmans: Le débat sur la souffrance psychiatrique a causé beaucoup de polémique car un certain nombre de jeunes ont témoigné dans les médias de leur souhait de mourir. Aucune de ces personnes n’est morte, elles sont encore toutes vivantes. Parce qu’ils ont découvert qu’ils pouvaient tirer sur une sonnette d’alarme. Mais il y a aussi des gens qui ont tout essayé pendant trente ans: consulter des médecins, se rendre dans des institutions et même subir des électrochocs. Alors qu’ils souffrent toujours autant qu’il y a trente ans.

 

 

Aux Pays-Bas, la discussion sur la «vie accomplie» est menée avec vigueur. Il s’agit de personnes qui ne souffrent pas psychologiquement ou physiquement. Quelle est votre position?

Distelmans: Dans cette discussion, vous devez très clairement distinguer deux choses. L’une est la vie accomplie et l’autre est la polypathologie. La vie accomplie concerne une personne habituellement âgée, mais pas toujours. Qui n’est pas physiquement ou mentalement mal, mais qui dit que la vie n’a plus de sens. En outre, vous avez des gens qui sont généralement âgés et qui ont une accumulation de maladies. Ils entendent et voient moins bien, ne peuvent plus regarder la télévision ou manger et boire de façon indépendante, et ainsi de suite. Vous pouvez toujours vivre avec chacune de ces difficultés, mais si vous les additionnez, cela devient insupportable. C’est le prix que nous payons pour vieillir. Dans notre rapport de 2014-2015 il apparaît que dix pour cent des cas d’euthanasie effectués étaient des cas de polypathologie. Ce qui est insupportable diffère d’une personne à l’autre. C’est au médecin et au patient de décider. Trois médecins sont impliqués pour décider si cette polypathologie entraîne pour le patient des souffrances insupportables.

 

« Les gens ne veulent pas renoncer inutilement. Vous ne devez pas oublier que nous sommes la première génération à avoir plus de quatre-vingts ans. » – Wim Distelmans

 

La vie accomplie concerne ces autres cas. Le député flamand Jean-Jacques De Gucht veut également lancer le débat en Belgique.

Distelmans: S’il n’y a pas de cause médicale, personnellement, j’éprouve des difficultés. Je respecte pleinement les gens qui veulent en finir avec la vie. Qui suis-je pour dire qu’ils ne le peuvent pas? Peut-être y aura-t-il des critères définis dans le futur, mais je suis actuellement sur un sol glissant. Je ne me sens pas plus compétent que quiconque pour juger si quelqu’un en a irrévocablement fini avec la vie. En cas de polypathologie, quelqu’un peut dire: J’ai écouté de la musique toute ma vie et j’ai trouvé cela fantastique, et je n’entends plus la musique et je ne peux plus lire. Ensuite, vous avez un contexte médical. Mais ici … J’ai déjà vu des gens voulant mourir qui, quelques mois plus tard, sont tombés amoureux et ont retrouvé un sens à leur vie. Je n’en suis pas certain. Je pense que ça vaut la peine d’en faire un débat de société.

 

Vous avez écrit plus tôt dans un article d’opinion que la mort est un tabou dans notre société. Qu’entendez-vous par là?

Distelmans: Notre législation entière est basée sur le commandement « Tu ne tueras point ». Mais j’ai déjà appris par des gens qui ont vraiment étudiée la Bible en profondeur que nous devons traduire cela comme ‘Tu n’assassineras point’. Quand les Juifs ont fui l’Egypte, ils ont battu leurs bébés sur les rochers pour se déplacer plus vite. C’est ainsi que ce commandement est né. Mais cela n’a rien à voir avec ce que nous entendons par euthanasie.

 

« Sans contexte médical, je ne me sens pas plus compétent que quiconque pour juger si quelqu’un en a irrévocablement fini avec la vie. » – Wim Distelmans

 

Pourtant, l’euthanasie reste un sujet difficile.

Distelmans: Bien sûr. À juste titre Mais ce n’est pas parce que la loi sur l’euthanasie a été votée que cela ne s’est jamais produit auparavant. Cela se produisait, mais dans de mauvaises conditions. Les médecins ne savaient pas comment procéder et n’osaient pas en parler ouvertement.

 

Depuis la loi sur l’euthanasie, le nombre de cas d’euthanasies a fortement augmenté. Expliquez-vous également cela suite à la disparition du tabou?

Distelmans: Les cas d’euthanasie enregistrés ont en effet augmenté et probablement aussi le nombre absolu. Et pourquoi? Parce que les gens ne veulent pas renoncer à la vie inutilement. Vous ne devez pas oublier que nous sommes la première génération à avoir plus de quatre-vingts ans. En 1960, l’espérance de vie moyenne était de soixante ans. Nous avons gagné vingt ans, mais dès lors, plus de gens souffrent de polypathologie. Dans le passé, les gens trouvaient du réconfort dans la religion. Avec la souffrance, quelqu’un gagnait aussi sa place au paradis.

D’après mon expérience, les gens qui ont encore quelque chose à vivre ne veulent pas mourir. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui voulait mourir pour le plaisir. Les gens ne veulent pas mourir, mais ils ne veulent pas vivre comme ça. Un certain nombre d’entre eux découvrent après une longue recherche que la seule option est l’euthanasie. C’est la réalité.

 

Les chrétiens diront probablement que la souffrance fait partie de la vie.

Distelmans: C’est leur droit, mais qu’ils ne décident pas pour d’autres personnes. Je les respecte, mais cela est également lié au vécu et à l’expérience de la souffrance. Est-ce que celuiqui fait de telles déclarations a déjà éprouvé la souffrance?

Dans mon livre, je cite l’exemple d’un parlementaire catholique qui était absolument opposé à la loi sur l’avortement, jusqu’à ce que sa fille devienne enceinte et qu’il l’emmène aux Pays-Bas.

 

Vous vous demandez également dans votre livre si une personne inconscience, comme c’est le cas avec un patient sous sédation, peut encore être considérée comme vivante.

Distelmans: A ce sujet, je suis la position de Leo Apostel de la VUB et de l’UGent. Ce qui distingue les gens des animaux, c’est d’avoir une identité sociale. Quelqu’un est une personne parce qu’il peut choisir, agir et décider. Quand vous ne pouvez plus faire cela, vous pouvez vous demander si continuer de vivre a un sens.

Certains considèrent l’euthanasie comme inacceptable parce qu’elle concerne la mise à mort consciente, alors que ce n’est pas le cas avec la sédation. Je pense que c’est un argument absurde, surtout si le patient n’a rien demandé. De toute façon, dès que vous cessez l’alimentation et l’hydratation et que vous commencez la sédation, vous influez sur le moment de la mort

 

MOIS DES SOINS PALLIATIFS. Le 1er février débutera la deuxième édition du Mois des soins palliatifs, avec, outre un congrès, de nombreuses activités, dont la projection du film The Farewell Party et un déjeuner-débat au Muntpunt sur les soins pour les personnes atteintes de démence. Plus d’infos sur le site brel.centrum

 

 

WIM DISTELMANS

Né en 1952 à Brasschaat

1992: Oncologue à la VUB

1999: Professeur de médecine palliative VUB

2003: Arkprijs Free Word pour son engagement à la loi sur l’euthanasie

2002: Co-Président de la Commission Fédérale sur l’Euthanasie

Fondateur du centre de jour Topaz (UZ Brussel), LEIF et Brussels Expertise Fin de vie

Président du Forum des soins palliatifs

2016: Insigne honorifique de la Communauté flamande

Vit à 1000 Bruxelles

 

Wim Distelmans, sédation palliative.

Wim Distelmans, Palliatieve sedatie, trage euthanasie of trage dood?

Éditeur Houtekiet, 300 pages, 21,99 euro