Législation belge : avant la dépénalisation
L'avis du 20 juin 2001 du Conseil d'État sur la loi relative à l'euthanasie
En raison de son importance au point de vue juridique nous reproduisons ci-après l'essentiel de cet avis qui avait été demandé par le président du Sénat avant de soumettre la loi au vote de l'assemblée (le texte intégral a été reproduit dans notre bulletin n°81).
Le texte examine d’abord si la proposition de dépénalisation de l’euthanasie est compatible avec le droit à la vie, garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et par l’article 6 du pacte international relatif aux droits civiles et politiques (PIDCP).
Le conseil d’État fait remarquer que la CEDH et le PIDCP ne visent pas à protéger " la vie " en tant que telle mais bien " le droit à la vie " et il considère que cette protection doit être mise en balance avec le droit à l’autodétermination des individus et avec le rôle du législateur consistant à concilier des conceptions éthiques opposées dans ce domaine. Le Conseil d’État examine point par point les conditions que la proposition de loi met à la pratique de l’euthanasie, que ce soit en phase terminale ou non terminale de la maladie, ainsi que les conditions mises pour rendre valide la déclaration anticipée de volontés. Il conclut que la proposition de loi est parfaitement compatible avec les dispositions de la CEDH et du PIDCP car il respecte le droit à la vie en prenant toutes les précautions nécessaires pour s’assurer de la volonté réelle du patient.
En ce qui concerne les soins palliatifs (qui se situent en dehors du droit pénal), le texte fait observer que certains actes pratiqués en médecine palliative qui dépassent le simple traitement de la douleur (la " sédation contrôlée ") s’apparentent à l’euthanasie. Il demande donc de définir de manière plus précise la notion de soins palliatifs afin d’identifier clairement les actes qui échappent à la loi pénale parce qu’ils sont réellement " palliatifs " et ceux qui sont punissables car ils visent indirectement à provoquer la mort.
Le Conseil d’État examine ensuite la question du suicide médicalement assisté. Il se demande pourquoi la proposition de loi ne l’envisage pas alors qu’il ne diffère de l’euthanasie que par le fait que l’acte conduisant à la mort est posé par le malade et non par le médecin, celui-ci se bornant à la prescription de substances létales. Il suggère que la proposition de loi inclue le suicide médicalement assisté ou justifie les raisons de cette abstention.
Enfin, le Conseil d’État suggère de prévoir des peines distinctes suivant que le médecin qui pratique une euthanasie n’ait pas respecté une condition considérée comme essentielle ou une condition purement formelle.
L’avis se termine par quelques remarques mineures concernant certains points rédactionnels.
La prise de position des Universités de Bruxelles lors des débats parlementaires qui ont abouti à la dépénalisation de l'euthanasie
Les Conseils d’Administration de la Vrije Universiteit Brussel et de l’Université Libre de Bruxelles ont, en leurs séances respectives du 5 et du 19 février 2001, adopté une position commune dans le débat sur l'euthanasie. Cette déclaration a en outre recueilli l'avis favorable des hôpitaux académiques des deux universités. Le texte en est reproduit ci-dessous
Après de longs préliminaires, la question de la dépénalisation de l’euthanasie a actuellement atteint le stade des décisions parlementaires. Dans cette phase cruciale du débat, nous tenons à affirmer notre appui aux propositions qui tendent à assurer le respect du pluralisme éthique de notre société et le droit à l’autonomie des individus dans le domaine de la fin de la vie. C’est au nom de ce pluralisme et de ce droit que nos universités soutiennent les initiatives tendant à donner au malade en impasse médicale irréversible la possibilité légale de choisir les modalités de sa mort et au médecin qui accepte de lui accorder son aide active, la possibilité de prendre sa décision en conscience sans la menace qu’un tel geste ne constitue une infraction
Le fait que l’euthanasie soit considérée par la loi comme un homicide avec préméditation, quelles que soient les circonstances, a des effets pervers sur les attitudes médicales. Il entraîne une réticence des médecins à aborder clairement et franchement avec le patient la question de la mort et de son accompagnement, oblige le patient à subir la maladie jusqu’à son terme, quelles que soient ses souffrances, conduit à des interventions médicales destinées à soulager la fin de la vie prises tardivement à un moment où la concertation avec le malade n’est souvent plus possible. Il est paradoxal qu’après avoir eu pour règle de respecter les choix des patients pendant le cours de leur affection, les médecins se voient interdire par la loi de les respecter face à la mort.
On ne peut plus ignorer que le médecin est pourtant souvent amené à décider, par souci d’humanité, de mettre fin à la vie. Que ce soit dans les unités de soins intensifs ou dans les services de soins palliatifs, l’arrêt de traitement et l’administration d’analgésiques à hautes doses hâtent fréquemment le décès, particulièrement lorsque le malade en grande souffrance n’est plus en état de s’exprimer. Mais quand il s’agit de patients conscients et lucides, la survie leur est aujourd’hui légalement imposée quels que soient leur état, leurs souffrances, leur qualité de vie et leur souhait. Bien que les soins palliatifs constituent un progrès majeur dans l’humanisation de la fin de la vie, personne ne conteste que des situations de souffrance incontrôlable persistent, qu’un simple arrêt de traitement ne signifie pas nécessairement une mort sans souffrance et que certains patients refusent fermement toute forme d’acharnement, même palliatif, au nom de leur dignité humaine et de leur libre choix. Dans de telles situations, le médecin doit pouvoir respecter une demande éventuelle de mettre activement fin à la vie s’il la juge en conscience légitime.
En fixant un cadre légal strict, la loi garantirait le choix éthique non seulement de ceux qui estiment avoir le droit de disposer de leur vie mais aussi de ceux qui, pour des raisons hautement honorables, considèrent que leur vie ne leur appartient pas et souhaitent qu’elle suive son cours jusqu’à son terme naturel. Il n’est pas légitime que l’un de ces choix ne soit possible que dans la clandestinité. L’expérience aux Pays-Bas de vingt années de dépénalisation conditionnelle de facto de l’euthanasie, menée avec une rigueur exemplaire jusqu’à aboutir à sa légalisation récente, a démontré à la fois les effets positifs d’une telle dépénalisation sur les attitudes médicales et les limites réelles qu’une société démocratique peut déployer face aux risques de dérives " eugéniques " ou " économiques " exprimées par certains.
La reconnaissance d’une souveraineté de l’homme sur sa vie est à la base de l’esprit humaniste qui anime nos universités. Elle implique que soit reconnue la possibilité dans certaines situations de souffrance et de déchéance d’obtenir du médecin le geste ultime et fraternel qui permet d’anticiper la mort. Nous plaidons fermement pour que la dépénalisation de ce geste lui donne droit de cité et assure, sans rien imposer à personne, le respect du pluralisme éthique qui existe au sein de notre société en particulier dans les attitudes concernant la vie et la mort.
Les inculpations pour euthanasies
2000 : Inculpation de deux médecins
Communiqué de presse : L'ADMD a pris connaissance de l'inculpation d'homicide volontaire avec préméditation à l'encontre de deux médecins de l'Hôpital de la Citadelle à Liège, pour avoir pratiqué un arrêt actif de vie chez un patient en situation d'impasse thérapeutique totale. L'ADMD constate une fois de plus l'iniquité de la loi actuelle qui qualifie d'assassinat un acte médical d'interruption de vie accompli par compassion. …Par ailleurs, indépendamment de l'instruction en cours, l'ADMD s'élève énergiquement contre la détention d'un des médecin inculpés (3 février 2000)
Après ce communiqué, nous avons pris contact avec les médecins inculpés pour les assurer de notre entier soutien, ainsi qu'avec la famille du patient à qui nous avons fait part de notre sympathie et de notre indignation devant les procédures judiciaires qui les accablent.
Le médecin détenu a été libéré après cinq jours d'emprisonnement.
Cette affaire a soulevé l'indignation dans le milieu médical. Nous avons reçu dans les semaines qui ont suivi les inculpations un grand nombre de signatures de médecins et de membres du personnel paramédical à notre appel en faveur de la dépénalisation de l'euthanasie.
Dans le numéro de juin 2000 de notre bulletin trimestriel, le docteur Claude Chevolet, un des inculpés, s'est exprimé avec clarté et dignité en faveur d'une législation.
En date du 6 février 2003, la Chambre des Mises en Accusation de Liège a enfin décidé l'abandon des poursuites, en se référant à la loi de dépénalisation de l'euthanasie. Les deux médecins inculpés nous ont adressé des remerciements pour notre action. Nous sommes heureux de ce dénouement et assurons ces deux médecins de toute notre sympathie pour leur courage.
Inculpation d'une infirmière et des ses parents
Le 9 février 2000, une infirmière de la clinique universitaire d'Anvers a été inculpée d'assassinat et incarcérée avec ses parents, accusés de complicité, pour avoir mis fin à la vie d'une malade cancéreuse au stade terminal de son affection. L'ADMD s'est élevée contre cette arrestation qui démontre que l'interdit d'euthanasie conduit à des actes clandestins de désespoir et à des drames qui détruisent toute une famille. Nous avons demandé à l'avocat de la jeune femme de transmettre à celle-ci nos sentiments de sympathie et nous lui avons fait part de ce que nous étions disposés à lui apporter l'aide et les témoignages qui pourraient être utiles à sa défense.
Après 3 mois de détention, l'infirmière et de ses parents ont été libérés.
En juin 2005, la chambre des mises en accusation d'Anvers a décidé que la jeune femme serait jugée en Cour d'Assises pour assassinat ! Après une délibération de 50 minutes, le jury de la Cour d'Assises a acquitté l'infirmière le 13 février 2006.
L'euthanasie de Jean-Marie Lorand
J‑M. Lorand, âgé de 51 ans, atteint d'une affection neuro-musculaire dégénérative qui ne lui laissait plus que l'usage de deux doigts et qui réclamait depuis deux ans de pouvoir bénéficier d'une euthanasie (voir son livre "Aidez-moi à mourir" paru aux éd. Labor et son journal "Ma dernière Liberté" aux éd. Luc Pire) a finalement obtenu l'aide clandestine d'un médecin le 8 juillet 2000, c'est-à-dire avant la promulgation de la loi de dépénalisation. Nous rendons un hommage ému au médecin courageux qui a posé ce geste d'humanité dans un contexte de médiatisation qui rendait très aléatoire l'espoir de pouvoir garder le secret.
L' instruction judiciaire, ouverte à l'encontre du médecin qui s'était présenté spontanément au juge d'instruction, a été close sans inculpation après l'entrée en vigueur de la loi de dépénalisation.
Inculpation et arrestation d'un médecin
Inculpée d'assassinat pour avoir arrêté les soins et débranché le respirateur d'un patient en fin de vie, une femme médecin de l'hôpital de Boom a été emprisonnée le 24 octobre 2001 et remise en liberté après trois mois de détention. L'ADMD s'est élevée avec vigueur contre cette inculpation et l' incarcération arbitraire du médecin (voir dans notre bulletin de mars 2002 le dossier consacré à cette affaire :article du Prof. W. Distelmans).
Inculpation d'un infirmier
Un jeune infirmier de la clinique "La Dorcas" à Tournai a été inculpé le 9 mars 2001 pour avoir mis fin à la vie de trois patients inconscients en situation terminale irréversible. D'après la presse, il était compétent et dynamique et avait même monté une cellule d'accueil pour recevoir les proches des patients dans un environnement plus humain.
Alors que l'interdit légal paralyse beaucoup de médecins, cette nouvelle affaire montre qu'il se trouve des infirmier(ère)s sensibles à la détresse des mourants qui prennent leurs responsabilités dans la clandestinité de leurs gardes. Mis immédiatement en détention à la prison de Tournai, ce jeune infirmier a vu cette détention prolongée à plusieurs reprises. Il a finalement été remis en liberté après plusieurs mois de détention mais est resté inculpé. Son procès en Cour d'Assises a eu lieu en juin 2008. Il a été acquitté pour les deux arrêts de traitement qu'il avait pratiqués et reconnu coupable de l'assassinat d'un patient chez lequel il avait injecté un produit létal. La peine prononcée a été minimale : trois ans de réclusion avec sursis.